Jersey2

L’an dernier, je m’étais inscrit au marathon de Jersey , mais malheureusement, victime de cette sournoise hernie discale, je dus y renoncer. Sur ma demande, l'organisation me permettait alors gentiment un report de dossard. Un an plus tard , c’est avec une magnifique tendinite d'Achille que j’allais m’attaquer à l'Île! tendinite contractée 3 semaines plus tôt sur un 10km qui me tient à coeur à Bordeaux, la Cité-Run organisée par le Quartier du Tauzin, avec une grosse présence de violets de Laurette Fugain. En sortant de la partie hospitalière du parcours (km 6-7), j'avais continué à pousser malgré une douleur vive à droite, car l’année dernière j'avais terminé 2ème de ma catégorie, ce qui n’est pas si fréquent ! Résultat, un tendon en vrac, au pire moment de ma saison, juste avant un enchaînement de 4 marathons en 5 week-ends...

Le dimanche suivant, un test en forêt s’achevait par un retour à maison en marchant, et c’était parti pour 15 jours sans courir du tout, glace, argile verte, gaulthérie et sacrifice de poulet... Autant dire que le but de ma venue était de finir !!

Nous retrouvions donc Fred et Valérie à Saint-Malo vendredi soir pour prendre le ferry après une première nuit bretonne. Samedi matin, après une traversée relativement calme, avec juste un peu de houle pour nous nouer très légèrement l’estomac, nous débarquions à Saint-Hélier, et rapidement rejoignions notre très bel hôtel, allions retirer les dossards à la minimaliste expo marathon et testions quelques fish’n’chips et bonnes bières pour soigner l'hydratation, avant une soirée pasta-pizza (et bières).

 

Dimanche matin, arborant les couleurs des Marathon Globe Trotters, nous partions avec Fred rejoindre la starting zone. Pour assurer plus de moelleux à mon tendon, j'avais opté pour mes croc’s (les vertes!). 3 courses, un 3km familial, le marathon solo et en relais par équipes de 5 rassemblaient 2500 coureurs au total, dans une gentille ambiance. La météo était optimiste avec un soleil dominant , quelques nuages et une alerte vent fort après midi. Le parcours étant une boucle (sur une île ça se conçoit), on l’aurait parfois de face, parfois dans le dos ! Un départ tranquille en fond de peloton nous lance dans la course, Valérie nous immortalise dans le flot, et après 3km urbains, on bifurque à droite pour une grimpette quasi-discontinue jusqu’au 8eme mile. Dès le 2eme km, je sens Achille...ouille, pas bon signe, et j’aurai une oreille dedans pendant toute la course !

Tout de suite nous sommes plongés dans des paysages champêtres typiquement normands, bocage, passages en sous-bois, par une petite route qui serpente le long d’un ruisseau... On partage quelques instants avec un néo-marathonien de Manchester, puis d’autres avec un MGT danois, Tor,  qui court aujourd’hui son 49eme pays ! Au 8eme km, Fred n’en croit pas ses yeux en découvrant des cèpes de 30cm de diamètre le long de la route, puis juste après, une grenouille en paille de 3 mètres de haut... On croise ensuite un vieux monsieur enturbanné, un sik avec une très longue barbe blanche, qui chemine tout courbé, lentement mais sûrement.

 

Les bénévoles sont présents tout le long du chemin, on a droit à des “c’mon guys!, good job! you’ll make it ! you’re amazing!”... On a entendu ”Guys” des milliers de fois ! On monte par le chemin des Moulins (km5) le long d'une petite rivière, puis on longe des champs, par des routes de campagne humides bordées de hautes haies. Trois tracteurs gigantesques déboulent soudain en enfilade à la sortie d’un virage, nous laissant à peine un couloir d’un mètre et rabotant l’autre bord au passage!

 

Km10, Achille est toujours là en embuscade mais semble me laisser un peu tranquille, ma seule crainte est une brusque montée douloureuse qui me contraindrait à marcher? Ca n’arrivera pas. Curiosité locale, la route recèle de nombreux petits étals , cabanons, étagères, plantés au milieu de nulle part, garnis de fruits et légumes (des petites pommes aux citrouilles impressionnantes ), ou d’oeufs, fraîchement récoltés, et en libre service. Des “Honesty boxes” recueillent la monnaie, en toute confiance ! Charmantes pratiques commerciales de vente directe, illustrations d’un mode de vie insulaire simple et sain...

 

Nous avons fini la remontée au nord et piquons vers l’ouest, donc face au vent. Là encore, les arbres et les haies nous abriteront relativement bien; on papote avec Fred, Egypte ancienne, tours génoises, mur de l’Atlantique... Les grands espaces et petites prairies font le bonheur de nombreux chevaux, pur-sang nerveux, chevaux de labour, qui profitent de l’air iodé ! nous croisons aussi un troupeau de béliers arborant des cornes inversées (parce qu’ils marchent à gauche ? à cause du vent ?). Une pancarte “Beware hedgehogs” tente de protéger les hérissons... Et les noms des routes ou des lieux-dits sont plus savoureux les uns que les autres : la Fraide Rue, la rue de la hauteur, (mérité!!), la Ruette, la rue du muet, Verte Rue, les doubles chasses, la neuve route, la rue de vignes…

 

Crac !! fait mon crâne en heurtant violemment la route...Fin de la rêverie !! En pleine conversation, patatra, en 2 secondes je me retrouve par terre après une grosse chute assez brutale. La tête a frappé fort, j’ai bien entendu le bruit sur l’asphalte. Mon pied gauche ne s‘est pas assez levé et a frotté le sol. Tête en sang, genou en sang, main en sang, et Garmin explosée... (L’épaule est bien atteinte aussi mais je ne le verrai que ce soir). Je me relève en checkant rapidement, avec l’aide d’un Fred un peu inquiet, qui me fait faire demi-tour, on venait juste de passer un ravito (km15). La bénévole me nettoie, le sang coule à flots. Plus spectaculaire que grave en définitive, nous reprendrons la route après un arrêt de 2 minutes au stand!

 

Nous faisons demi-tour à Haut-Manor au km17. L’horizon s’élargit un peu et une vue spectaculaire de falaises plongeant dans une mer turquoise s’offre à nous, le tout baigné de soleil, c’est superbe! Nous empruntons ensuite de longues pistes forestières stabilisées, lignes droites interminables mais en très léger faux plat descendant, ce qui nous permet de faire défiler les km facilement ; Les châtaigniers garnissent les sous-bois de leurs fruits par centaines au sol... Nous traversons le village de Saint-Ouen. Peu après, à La Hougue le semi est passé en 2h15 pile. Pas mal, vu l’arrêt au stand non planifié...Tout ça nous amènera dans la zone de l'aéroport (km23) dont nous allons faire le tour. les petits monoplaces sont parkés dans l’herbe, dégageant une impression de tranquillité... Un ATR42 décolle à notre passage, symbolique salut à la distance !

 

Puis nous arrivons à la pointe sud-ouest de l'Île, en longeant le golf local (La Moye Golf Course) et son parcours côtier. Très beau décor pour les joueurs, mais qui doivent affronter de très forts vents d’ouest. Je me disais que peut-être ils mettaient au point des stratégies, à vite oublier sur les parcours continentaux !

Au km 30, on bifurque à nouveau, plein Est cette fois-ci, signal de vent de dos , pour rallier Saint-Aubin où nous allons emprunter la piste cyclable de bord de mer, une sorte de Promenade des Anglo-Normands, avec une vue...fabuleuse. Au loin, Saint-Hélier, et devant nous, un golfe aux nuances turquoises et huître...

Mais le moteur de Fred commence à avoir des ratées, une ou deux extrasystoles, un peu de surchauffe, et la fin de parcours devient un peu chaotique. On partage quelques mètres avec un coureur écossais, à qui je confie mon envie de courir Inverness un jour. Nous allons malgré tout terminer les 2 derniers km à bonne allure jusqu’au port de Jersey.

Dans les derniers virages, en guise de coup de grâce, le vent de face nous cloue presque sur place, et 300 mètres plus loin nous serons accueillis sous la Finish Line (4h34) par la foule des Jersiais, bien impliqués dans l’ambiance de cette belle journée. Mais pas par les photos d’Hélène et Valérie, qui occupées elles aussi à papoter nous ont vus un peu trop tard !

 

Ravi par notre promenade pas si mal maîtrisée malgré les blessures et les aléas, je suis très content et relativement soulagé pour ma part. Un petit passage sous la tente des medics (je n’ai pas eu le choix, à la vue du sang séché sur mon front j’y ai été guidé direct à peine la lige franchie!) et j’en ressors pour aller chercher ma belle médaille.

Et nous fêterons cette nouvelle aventure le soir autour d’un bon burger (UK cuisine!) arrosé d’une ultime pinte de bière.

Of course.

6 jours plus tard, un extra-terrestre bouclait la distance reine en 1h59:40……….